portrait de Didier Vaillant dans Le Monde

Publié le par PS Plaine de France - canton de Luzarches

Didier Vaillant, la République blessée
LE MONDE | 06.12.07 | 16h08  •  Mis à jour le 06.12.07 | 16h08

l est presque minuit. L'allée des Bleuets fermente. Voilà une heure, 300 policiers quadrillaient cette artère de Villiers-le-Bel, dans le Val-d'Oise. Après des contrôles d'identité, deux garçons ont été embarqués, sous l'oeil d'une centaine de journalistes. Au pied d'une masse de béton, où logent 1 500 personnes, une cinquantaine d'habitants s'échauffent : "Ils n'ont rien fait !" A quelques mètres, les CRS se replient derrière leurs boucliers en plexiglas. Au milieu de la marmite, Didier Vaillant tente de raisonner la foule.

Le maire socialiste de Villiers promet de donner les informations dont il disposera, de dire pourquoi les adolescents ont été menottés et arrêtés. La rage retombe. Quelques minutes plus tard, l'allée des Bleuets est déserte. Les deux précédentes nuits ont été si chaotiques, après la mort de Mouhsin et Larami, 15 et 16 ans, dont la petite moto est entrée en collision avec une voiture de police, le 25 novembre.

Didier Vaillant, 54 ans, a l'allure d'un préfet de province. Maire de Villiers-le-Bel depuis dix ans, il a subi avec accablement le feu de la violence. La bibliothèque Louis-Jouvet, le poste de police, l'école maternelle ont en partie brûlé. Lui en a gardé un goût de cendres. Il pense - sans doute avec excès - que deux nuits de guérilla ont ruiné des années de travail.

De Washington, le patron du Fonds monétaire international (FMI), Dominique Strauss-Khan, s'inquiète. L'ex-maire de Sarcelles, limitrophe de Villiers-le-Bel, a appelé Didier Vaillant à plusieurs reprises. "Il ressent une certaine injustice, commente "DSK". Il se demande pourquoi de telles violences sont tombées sur lui." L'ancien président de la communauté d'agglomération du Val-de-France - qui regroupe Sarcelles, Villiers-le-Bel, Arnouville-lès-Gonesse, Garges-lès-Gonesse - souligne que, sur les 162 communautés "d'agglo" du pays, Villiers est la plus pauvre.

"C'est un homme blessé", constate "l'ami américain". "Il a été abattu", confirme Claude Dillain, son homologue de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), qui avait eu à faire face aux émeutes de novembre 2005. "Pour nous, c'est un choc psychologique. Nous ne sommes pas préparés à ça. Mais il ne sert à rien de se lamenter, il faut devenir le porte-parole de ceux qui souffrent", dit-il. Claude Dillain remarque aussi que, contrairement à Clichy, Villiers a reçu la visite des plus hautes autorités de l'Etat et que les violences ont été beaucoup plus dévastatrices dans sa ville. Raymonde Le Texier, sénatrice socialiste du Val-d'Oise, ex-maire de Villiers-le-Bel, dont Didier Vaillant fut le premier adjoint, assure qu'il doit prendre du recul. "Il a été blessé, c'est vrai, mais d'une manière presque narcissique", regrette-t-elle.

Didier Vaillant le reconnaît. Il dit comprendre la colère de la jeunesse, mais pas son expression incarnée dans une extrême violence. Cela ne se fait pas dans une République, point barre ! "Il ne peut pas se contenter d'invoquer la République, estime Mme Le Texier. Car la République a oublié les gens de Villiers." L'Agence nationale pour l'emploi, la Caisse d'allocations familiales, le commissariat de police sont absents de cette commune de 27 000 habitants. Il n'y a même pas de lycée d'enseignement général. Le maire s'était pourtant donné pour mission de ramener les services publics dans la ville.

Sa situation frise la schizophrénie. Car si la République n'est pas venue à lui, il va à elle. Diplômé de l'Institut régional d'administration de Lille, il devient à 24 ans fonctionnaire, attaché au ministère de l'équipement. Pendant un an, de 1991 à 1992, il est le chef de cabinet du secrétaire d'Etat à la mer, le socialiste Jean-Yves Le Drian. Dès 1989, il connaît la vie politique locale, en tant que maire adjoint chargé des travaux à Villiers-le-Bel.

Didier Vaillant a grandi dans une famille de gauche, "dans la grande tradition ouvrière éprise de justice sociale","Un vrai socialiste", ajoute-t-il. Le frère est conseiller municipal PS dans une autre commune du Val-d'Oise. La statue familiale, c'est le père, Raymond Vaillant, figure socialiste du Nord et intime de Pierre Mauroy. Il fut son premier adjoint à la mairie de Lille et son conseiller à Matignon. Quand Raymond Vaillant s'est éteint en 2005, l'ancien premier ministre de François Mitterrand lui a rendu cet hommage, aux obsèques : "Il était le frère que je m'étais choisi." raconte son confident et premier adjoint Nicolas Carrier.

Mauroy ne se considère pas comme un parrain ou un parent. Mais tout de même comme un proche de la famille, qui fréquentait le pavillon de Raymond Vaillant dans le Val-d'Oise. Ensemble, ils ont créé, en 1950, la Fédération Léo-Lagrange qui s'était donné pour mission "d'étendre la culture et organiser les loisirs des jeunes". Rien d'étonnant alors de voir à Villiers 5 "city-stades" en plein air et quatre gymnases ouverts de 18 heures à 22 heures, accessibles à tous et gratuits.

Depuis quelques jours, Didier Vaillant s'est mis hors la loi. Il fume ses Gitanes dans son bureau pour ne pas perdre de temps. Des tableaux, des photos aériennes de sa ville constituent une décoration sans faste, à son image. Au-dessus de son fauteuil, la célèbre colombe dessinée par Picasso en 1949 pour le grand congrès de la paix organisé par le Parti communiste français.

De sa fenêtre, on entend jouer des gamins du quartier, mais les cris ne semblent pas le perturber. Dans la rue, les passants le saluent. Didier Vaillant prend le temps de les écouter et de leur répéter la bonne parole : "C'est le temps de la reconstruction". Il serre les mains, écoute les lamentations. Cela peut être expédié en quelques secondes ou prendre plusieurs dizaines de minutes. "Je suis maire, mais aussi père, assistant social, facilitateur...", dit-il. Ses amis le présentent comme quelqu'un de rigoureux, de méthodique - mais capable, parfois, d'un grand entêtement. Proche du peuple ? En 2001, en tout cas, lors de l'élection municipale, la droite n'a pas été capable de rassembler trente-cinq noms avant la clôture des listes. Seul en lice, Didier Vaillant - à la tête de la liste de la Gauche unie - a été élu avec... 100 % des voix.

Mais il y a, à ses yeux, un temps pour tout. "Quand je vais acheter des chaussettes, je ne veux pas qu'on vienne me parler d'un problème de logement", dit-il avec un sourire. Il a souhaité être un élu à mi-temps. Quand il n'est pas maire, il continue de travailler comme simple fonctionnaire au ministère des transports. Sous les dorures de la République.

Mustapha Kessous

PARCOURS

1954

Naissance à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine).

1978

Fonctionnaire, attaché au ministère de l'équipement.

1991

Chef de cabinet du secrétaire d'Etat à la mer, Jean-Yves Le Drian.

1997

Maire de Villiers-le-Bel (Val-d'Oise). Réélu en 2001.

2005

Disparition de son père, Raymond Vaillant, proche de Pierre Mauroy.

2007

Emeutes à Villiers-le-Bel, après la mort de deux adolescents.

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Publié dans Société

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